Cette année, je fête les 10 ans de mon CAPES de documentation. Ce CAPES que j’ai obtenu du premier coup, au prix d’un travail acharné. 10 ans de bons et loyaux services, d’un investissement permanent et intense. Et aujourd’hui, je lis que je ne suis pas enseignante, que je ne suis pas devant des élèves… Je me prends, comme nous tous, ce mépris en pleine face. Pourquoi? Méconnaissance de notre métier? Non c’est trop facile… Volonté avérée de nous soustraire de notre spécificité? J’opte pour cette option. Je n’ai pas d’autres explications.
Si vous le permettez, je vais me livrer dans un billet un peu plus personnel que de coutume. Presque comme un cri du cœur… Je ne sais pas si mon ministre actuel me lira, mais si jamais il passe par là: vous ne pouvez pas nous ignorer. Vous ne pouvez pas nous dénigrer ainsi. Vous rendez vous compte de la violence de vos propos? De vos décisions? De vos petites ritournelles pour faire passer la pilule? Nous ne sommes pas dupes… (bien entendu derrière notre Ministre il y a aussi toute une administration, que je désigne aussi par ce « vous »)
Il y a donc 10 ans, j’étais encore étudiante en archéologie. En M1 précisément. Mon sujet de recherche concernait les industries lithiques en quartz dans la grotte des Fieux (Lot) au paléolithique supérieur. Passionnant non? Ce n’était pas exactement ce que j’imaginais. Je me sentais abandonnée avec mon mémoire, et je sentais bien, qu’au fond de moi, ce n’étais pas ce que je voulais faire de ma vie. Je n’étais pas passionnée au point de sacrifier ma vie à l’archéologie…. Dans un sursaut de conscience, j’ai pris rendez-vous avec la documentaliste de mon labo de recherche. Nous avons déjeuné ensemble, et elle m’a parlé un peu des métiers de la documentation. Au détour de la conversation elle est passé rapidement sur le métier de professeur documentaliste qu’elle avait exercé quelques années avant de passer le concours du CNRS. Et là mon cœur a fait tilt! Je suis rentrée chez moi avec ce métier en tête, j’ai fait quelques recherches, et j’ai été voir de plus près les conditions de candidatures à l’IUFM.. C’était l’année charnière ou la mastérisation se profilait, allait même devenir effective. Mais coup de bol, on pouvait encore postuler à la formation avec un bac +3 et l’admission au concours valait pour une équivalence M1. Je me suis donc lancée dans l’aventure, à Toulouse, avec des enseignants formidables, des camarades de promo merveilleux. J’ai bossé dur, avec une famille à côté, et plusieurs petites jobs d’appoint. Et j’ai réussi. Du premier coup. Quelle fierté! Moi fille d’ouvrier, pas d’enseignants dans ma famille, issue d’une école de quartier populaire, enfant d’immigré. Quelle fierté de me dire que j’allais travailler dans cette institution publique, celle qui m’avait faite.
Pour mon année de stage, j’ai été propulsée dans l’académie de Créteil. Dans le 93. A temps plein. Plus la formation à côté. Je me souviens encore des propos tenus par ma première principale lorsque je me suis présentée à elle: « je vous préviens, le CDI, n’est pas le centre du collège. » En fin d’année, je crois qu’elle a changé d’avis… J’ai d’ailleurs passé une année merveilleuse. Ma tutrice était vraiment une perle (Tulin, si tu passes par là). Et j’ai été titularisée.
J’ai eu de la chance, j’ai pu rejoindre mon académie très rapidement, en poste fixe. Rejoindre ma famille donc.Quelques années de galère loin de chez moi mais j’ai pu rejoindre un département limitrophe de celui de mon domicile dans les 2 ans qui ont suivi ma titularisation, sans jamais passer par la case TZR. Je mesure ma chance. Aujourd’hui je suis en poste pour la 5ème année consécutive dans un collège que j’adore, avec des élèves que j’ai plaisir à retrouver chaque jour. Et qui me le rendent bien. Mes collègues enseignants (et tous les autres aussi d’ailleurs) me considèrent comme l’une des leurs. Pas de différence. J’ai toute ma place. J’ai des heures d’enseignements dans mon emploi du temps. Où je suis seule face aux élèves, DEVANT eux. Des demi-groupes et des classes entières. Pour des séances suivant une progression construite et réfléchie en EMI. En parallèle j’assure une ouverture du CDI qui ne m’est imposée par personne. J’ai de nombreux projets en cours, qu’ils concernent la lecture, l’éducation aux médias… Et j’anime aussi un club Harry Potter (le seul d’ailleurs proposé par moi). Mes collègues en proposent d’autres. Mon administration est de loin la plus favorable que j’ai connu dans ma courte carrière.
Il suffit de remonter les archives de ce blog pour voir que je me suis investie dans chacun des établissements où j’ai pu exercer mon métier. En tant qu’enseignante. En tant que professeure documentaliste. Chaque année je me donne à 1000 %. Comme la majorité de mes collègues. Je ne compte pas mes heures. Les 6 heures de relation avec l’extérieur. Je les dépasse largement. Sur mon temps perso. Comme la majorité de mes collègues. J’ai aussi donné de mon temps à l’Institution en étant membre du groupe académique des profs doc de mon académie et j’ai participé aux TRAAM documentation deux ans. J’ai arrêté. On en peut pas être partout. Il faut savoir faire des choix. Et puis à côté, j’ai aussi donné de mon temps et de mon énergie à l’association professionnelle des profs docs de l’Education Nationale (l’APDEN). Et j’en donne encore. Vous voyez, Monsieur le Ministre, mon métier je l’aime et je le défends. A ma mesure. Et j’aime tellement ce métier, que j’ai décidé de reprendre mes études pour ne pas me reposer sur mes acquis. Pour aller au bout des choses. Les sciences de l’information se sont révélées à moi. La didactique, la pédagogie, tout ça ça me tient à coeur. Donc mon boulot je le vis à fond. Peut-être trop. Sûrement même. Il n’y a vraiment que pendant les congés d’été que je me permets de décrocher vraiment. Et encore, j’ai toujours un œil rivé dessus.
Il y a eu le confinement aussi. Vous savez celui qui vous a fait sortir de votre chapeau magique cette fameuse prime informatique. Mais nous n’y sommes pas encore. En urgence, j’ai pris des cartons de livre dans ma voiture, pour les amener chez moi. J’ai embarqué le minimum syndical de mon matériel de gestion. Les travaux de mes élèves que je ne pouvais pas exposer. Par contre je n’ai pas pris l’ordinateur de mon poste de travail. Pourtant j’ai passé chaque jour de ce confinement sur mon ordinateur. Pour assurer la continuité pédagogique en EMI. Pour assurer l’ouverture culturelle de mon établissement. Pour garder un lien avec mes élèves, avec mes collègues. Pour échanger avec des parents aussi. J’ai même utilisé mon smartphone. Souvent les deux à la fois. Tout ce travail, je l’ai fourni au même titre que la grande majorité de mes collègues (toutes disciplines confondues). Et aujourd’hui, on nous confirme donc par le décret n° 2020-1524 du 5 décembre 2020 portant création d’une prime d’équipement informatique allouée aux personnels enseignants relevant du ministère chargé de l’éducation et aux psychologues de l’éducation nationale, que nous ne sommes pas enseignants (à l’exception des professeurs de la discipline de documentation). Lors d’une discussion au Sénat, Monsieur le Ministre a dit que cette prime était réservée aux professeurs qui sont devant des élèves. Vraiment? Comment devons-nous prendre cette phrase? Devons-nous applaudir? Devons-nous courber l’échine et remercier le transfert de cette somme vers une augmentation de notre ISP? (Indemnités de sujétion particulière).Non, non, non….
Il n’est pas question d’argent, il est question de reconnaissance, de notre métier, de nos missions. Encore une fois, et d’une manière qui surpasse toutes les autres, notre Institution nous crache à la figure tout son mépris et sa volonté de nous ignorer… encore. Sommes-nous si gênants que nous ne méritons pas de pouvoir exercer notre métier de façon convenable? Sommes-nous si effrayants que vous refusiez encore de faire de nous les véritables fer de lance de cette éducation aux médias et à l’information que vous semblez défendre? Si ce n’est pas ça, de quoi s’agit-il? D’incompétence? De nous ou de vous d’ailleurs? En tout cas, du mépris, ça en est, oui. Vous ne pouvez plus le nier. C’est trop flagrant, trop gros, trop grotesque.
Aujourd’hui, je suis en colère… Je me sens méprisée, reniée dans mon métier. Ignorée, laissée pour compte, ce que vous voudrez. Je suis usée aussi de devoir justifier sans cesse mes missions (et celles qui ne sont pas les miennes). Mais je ne laisse pas tomber.
Un autre jour, Monsieur le Ministre je vous raconterai une de mes journées. Le mieux serait presque même de la filmer. Pour vous montrer ce qu’est un prof doc en 2020. Le mieux serait même que vous veniez passer une journée entière avec un professeur documentaliste, même plusieurs, dans différents établissements. Venez constater si nous ne sommes pas devant des élèves, si nous ne sommes pas à leur côté, derrière eux aussi. Venez constater par vous même que nous n’avons pas le temps de tout faire au CDI sur une journée qu’il faille que nous travaillions de chez nous. Il serait grand temps de revoir votre copie.
Signé: une prof doc qui en a ras les ovaires et qui a passé son weekend à remplir les bulletins de ses 175 élèves de 5ème, à préparer l’évaluation des 3ème, répondre à des mails urgents (pour le boulot of course) etc… et qui à cette heure là, un dimanche soir, n’est pas encore couchée.
P.S: n’hésitez pas à aller lire le texte d’Aline Bousquet J’ai fait un rêve ou encore celui de Docalabordage Ne lâchons rien face à l’illusionniste.
P.S 2: la pétition est toujours en ligne ici.
Soutine copine
Tout pareil copain
Merci Marie pour ce texte dans lequel je me retrouve à 100%. Depuis hier j’oscille entre rage, désespoir, dépit… et je ne décolère pas. Ce soir, en plus, je suis fatiguée. On se demande bien pourquoi, j’ai fait 4h de cours à des plantes vertes et accueilli de beaux géraniums pendant 4 autres heures…
La prof doc que je suis, issue d’une longue lignée de tisseurs, a aujourd’hui en tête la phrase « Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage ». On a largement dépassé les vingt fois, mais continuons et ne baissons pas les bras, encore et toujours !
Des collègues m’ont dit que je n’avais pas à remplir les bulletins de notes car je ne suis pas payée pour ça. Les autres profs touchent la prime Isoe qui incluent les réunions parents professeurs, les bulletins et conseils de classe. Quand penses-tu ?
Cet argument peut s’entendre mais à ce moment là on ne fait plus rien… j’évalue mes élèves, dans le cadre dû progression et j’aurai le sentiment de ne pas aller au bout des choses si je ne remplissais pas les bulletins et les compétences etc… les conseils de classe, jusque là j’y allais (pas tous mais ceux auxquels je pouvais me rendre) mais cette année j’ai décidé de ne plus m’y rendre tant que notre ISP ne serait pas alignée sur l’ISOE. Mais clairement ça m’embête parce que j’apprécie de m’y rendre… j’ai envie de dire que tu dois faire ce qui te semble juste et cohérent par rapport à ton contexte pro et ta pratique…